Appel: «Encourager les langues premières des enfants: un mandat central du système éducatif»

Pourquoi lancer un tel appel?

La diversité linguistique est devenue une réalité sociale. Tous les enfants doivent pouvoir y accéder et en profiter.

Acquérir ou apprendre une langue signifie s’approprier des compétences qui vont bien au-delà de ce que l’on désigne communément par le terme « connaissances linguistiques » ; c’est en fait une confrontation avec des contenus, des visions du monde et des cultures. Les liens avec la capacité de réflexion, la socialisation et la formation d’une identité propre sont évidents. Le langage et les langues sont la base de la communication et de l’apprentissage. C’est pourquoi il est du devoir du système éducatif d’encourager constamment l’apprentissage des langues à tous les niveaux.

L’enseignement de la langue standard locale, dont la maîtrise constitue une compétence essentielle pour la vie en société, est primordial. L’école doit développer les compétences des enfants et des jeunes bilingues ou multilingues dans la langue locale officielle. Il faut pratiquer un enseignement différencié afin de faire progresser des apprenants dont les connaissances de départ ne sont pas les mêmes. Le développement d’une didactique adaptée à un contexte plurilingue favorise l’apprentissage de plusieurs langues.

Pour les élèves dont la langue première n’est pas la langue parlée à l’école, cette dernière constitue la seconde, voire la troisième ou même la quatrième langue apprise. Comme leurs familles viennent d’un autre pays ou d’une autre région linguistique de Suisse ou que leurs parents s’expriment dans différentes langues, ces enfants grandissent dans un cadre bilingue ou multilingue. Pourtant, à l’heure actuelle, ce qui devrait être un atout constitue souvent un handicap, en particulier dans le cas des enfants issus de familles immigrées, bilingues ou plurilingues. En effet, ces jeunes sont surreprésentés dans les filières inférieures du degré secondaire I ainsi que dans les classes spéciales, mais sont sous-représentés dans les écoles de degré diplôme (secondaire II) et au niveau des formations professionnelles plus exigeantes. Ce n’est qu’en parvenant à supprimer ces discriminations structurelles que l’école publique pourra vraiment continuer à prétendre à son titre d’école pour tous.

L’apprentissage dans la langue première permet aux enfants élevés dans un cadre bilingue ou multilingue d’une part de développer leurs compétences linguistiques et leur manière de réfléchir et d’agir et d’autre part de se forger une identité solide qui leur permettra d’obtenir de bons résultats scolaires.

Dans l’intérêt des enfants bilingues et plurilingues et de leurs familles, mais aussi de tous ceux qui grandissent dans un contexte monolinguistique, le système éducatif doit encourager le bilinguisme et le plurilinguisme. Une formation multilinguistique donne lieu à une communication riche et variée et crée les conditions idéales pour que des personnes de cultures différentes puissent cohabiter et travailler ensemble en Suisse et partout ailleurs.

L’apprentissage de la langue première et de langues additionnelles à l’école fait partie des droits humains.

La société dans son ensemble a tout intérêt à ce que les personnes immigrées puissent bénéficier d’une bonne formation, y compris dans leur langue d’origine. Ceci se traduit non seulement par un enrichissement culturel, mais aussi par de nombreux avantages économiques. Il est donc justifié que l’enseignement en langue première - jusqu’à présent assuré par les cours de langue et de culture d'origine (cours LCO) - soit financé par des fonds publics.

Les cours dispensés dans les différentes langues premières (cours LCO) renforcent les compétences linguistiques et le sentiment qu’ont les enfants de leur propre valeur. L’expérience montre que le développement de l’estime de soi est un facteur d’intégration et contribue à la prévention de la violence. En soi, ce type d’enseignement représente déjà un facteur d’intégration très important dans un environnement scolaire marqué par le monolinguisme. Il contribue de manière considérable à créer un bon « climat scolaire ».

En reconnaissant  et en valorisant tous les types de plurilinguisme (et non pas exclusivement celui des « élites »), l’école en tant qu’institution a le pouvoir d’en renforcer considérablement les effets positifs.

Appel: «Encourager les langues premières des enfants: un mandat central du système éducatif»

Les organisations et les personnes individuelles signataires de cet appel sont convaincues que la diversité linguistique de la Suisse, qui se traduit par l'existence de quatre langues nationales et la présence de nombreuses langues étrangères, constitue un potentiel considérable et que le développement de cette diversité linguistique doit être un objectif central du système éducatif suisse.

Elles exigent des personnes responsables de la politique de la formation et des langues au niveau de la Confédération, de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), des cantons et des communes qu’elles assument leurs responsabilités au niveau juridique, organisationnel, financier et sur le plan des contenus et intègrent pleinement les cours de langue et de culture d'origine (cours LCO) dans les écoles suisses, en collaboration avec les organismes qui en sont actuellement responsables.

Elles saluent la décision prise par la CDIP de stipuler dans le concordat HarmoS que les cantons doivent apporter leur soutien, par des mesures d’organisation, aux cours de langue et de culture d’origine. Elles considèrent cette décision comme une mesure encourageante et attendent des cantons la concrétisation immédiate de ce soutien. A cet effet, elles demandent à la CDIP de créer un service centralisé d’assistance aux cantons.

Les organisations signataires formulent les revendications suivantes à l’intention de la Confédération, de la CDIP, des cantons et des communes:
L’école en tant qu’institution doit reconnaître et valoriser le plurilinguisme en l’intégrant dans ses principales activités. L’encouragement des langues premières ne peut plus rester en marge du programme scolaire « normal » ; il doit en faire partie intégrante. Cet enseignement doit être accessible à tous et permettre à la fois l'acquisition de compétences linguistiques dans de nombreuses langues et l'intégration scolaire et sociale des enfants bilingues ou plurilingues.

Selon l’article 4 du concordat HarmoS, tous les cantons doivent immédiatement réaliser, concrétiser ou développer des mesures d’organisation afin d’assurer le soutien des cours de langue et de culture d’origine (cours LCO). La condition première et sine qua non est que l’enseignement en langue première puisse être dispensé dans des salles de classe officielles et dans les limites de l’horaire d’enseignement officiel, qu’il puisse s’appuyer sur du matériel scolaire officiel et que les notes obtenues dans ces cours soient inscrites dans le livret scolaire.

Dans le cadre du programme de réformes envisagé par le concordat HarmoS, d’autres mesures doivent également être prises dans les plus brefs délais :

Il est indispensable de continuer à encourager consciemment la langue première lors du passage du cadre familial au cadre scolaire, dans les structures d’accueil extrafamiliales, au sein de l’actuelle école enfantine et dans les nouveaux cycles élémentaires. Par la suite, l’enseignement en langue première doit faire partie de l’enseignement obligatoire jusqu’au degré secondaire II, puis bénéficier du statut de matière optionnelle au gymnase et dans les écoles professionnelles, pour déboucher finalement sur la possibilité d’une maturité bilingue. Les connaissances linguistiques ainsi acquises doivent être attestées et certifiées (note dans le livret scolaire, portfolio des langues, certificat). Ces compétences additionnelles doivent être prises en compte dans l’orientation des élèves.

Une place correcte doit être accordée aux différentes langues premières dans les programmes de promotion des langues tels que ELBE (Eveil aux langues / Language awareness / Begegnungen mit Sprachen), Portfolio des langues, concepts pour une didactique des langues intégrée, didactique des langues coordonnée dans la formation des enseignants. L’enseignement en langue première devra notamment être intégré aux plans d’études des régions linguistiques qui seront développés sur la base du concordat HarmoS.

L’enseignement des langues à l’école publique et l’enseignement dispensé dans les cours LCO sont complémentaires. Une adaptation réciproque est donc nécessaire, par exemple sur la base d’un plan d’études cadre commun et d’une approche consensuelle des langues et de leur enseignement. L’école doit reconnaître et mettre à profit les ressources et les compétences particulières des enseignants des cours LCO en les faisant collaborer à différents programmes et projets.

Face à ces nouvelles exigences, les enseignants doivent pouvoir bénéficier de conditions favorables, c’est-à-dire notamment de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de bons programmes de formation continue. Pour faire évoluer l’école publique vers le plurilinguisme, il faut disposer de ressources temporelles et financières. Dans le domaine du plurilinguisme et de l'enseignement donné dans les langues premières, les hautes écoles pédagogiques, les universités et le nouveau Centre de compétences linguistiques suisse qui va être créé ont la responsabilité d’assurer la formation initiale et la formation continue du personnel enseignant et les recherches scientifiques qui s’y rattachent. Pour cela, il est indispensable de mettre au point une collaboration au niveau national et international en s’appuyant sur des crédits de recherche et de développement.

 

Résumé : Le plurilinguisme représente l’avenir de l’école publique, qui doit concrétiser le droit à l’éducation pour tous. Le système éducatif ne peut atteindre cet objectif que s’il assume pleinement la responsabilité de l’enseignement en langue première (cours LCO) tant aux niveaux juridique, organisationnel, financier que sur le plan des contenus, en collaboration avec les pays d’origine et les organisations des différentes communautés linguistiques. Dans le cas de l’école obligatoire, cette tâche doit être menée à bien dans le cadre de l’application du concordat HarmoS.


Amendé et approuvé par les membres du groupement d’intérêts  « Langues premières » fondé le 22 septembre 2007.

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